Le harcèlement de rue: le flou juridique commence seulement à s’estomper

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Notre modèle de société est en mutation, la domination masculine apparaît de plus en plus remise en question. Depuis une trentaine d’années, les femmes ont appris à dire NON, leur corps leur appartient. La veille médiatique de l’IFRAV fait clairement apparaître que depuis deux à trois ans, une prise de conscience s’opère dans le monde en général, la parole se libère pour dénoncer les violences physiques et psychologiques faites aux femmes, et aux enfants qui en sont témoins, même si nous sommes encore loin du compte de la réalité de ce fléau social. Malheureusement l’appareil judiciaire peine à réagir simultanément aux évolutions sociales. Il est réactif et n’a pas les moyens aujourd’hui d’anticiper suffisamment.

Une campagne d’utilité publique à Paris

La Mairie de Paris lance une campagne d’utilité publique contre le harcèlement de rue via une campagne d’affichage aux slogans choc et deux applications pour sécuriser les femmes. 100 % d’entre elles disent avoir subi le harcèlement de rue, notamment dans les transports. La prévention fondée sur la prise de conscience est une bonne chose en soi, toutefois elle reste insuffisante si la lutte contre ce phénomène grandissant n’est pas inscrite dans la loi.
En effet, contrairement au harcèlement moral dans la vie privée ou au travail, il n’existait pas d’infractions spécifiques dans le Code pénal pour le harcèlement dit de rue. On dénombre environ 1200 plaintes pour 60 condamnations, c’est dire combien le classement sans suite des procureurs est un indicateur de l’absence de loi de référence.
Dans la réalité, il était difficile de le réprimer étant malheureusement trop souvent assimilé à une simple incivilité ou à de la drague, comme l’a montré précédemment « l’affaire Baupin ». Les seules qualifications étaient celles du droit commun existant en matière d’injure, de diffamation à raison du sexe et provocation à la discrimination, à la haine, ou à la violence à raison du sexe dont l’application n’était pas simple à mettre en œuvre. En effet, le harcèlement de rue, injures et diffamations en raison du sexe rencontre la limite de la frontière avec l’agression sexuelle qu’il n’est pas toujours aisé de prouver. Il appartenait donc au législateur de définir clairement le harcèlement de rue et les peines encourues afin de combattre ce fléau qui fait partie des discriminations fondamentales à l’égard des femmes. L’égalité homme femme et la lutte contre les violences faites aux femmes est un enjeu majeur du XXI ème siècle partout dans le monde. Rappelons que c’est l’un des trois axes prioritaires des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) des Nations Unies, avec la lutte contre la pauvreté et la préservation de la planète, dans le cadre de la lutte mondiale pour la dignité des personnes et l’éducation.

Un projet de loi qui se précise depuis août 2012 (article 222-33 du Code pénal)

Après avoir été retoqué en mai 2012 pour non-conformité à la Constitution, le texte sur le harcèlement sexuel est enfin adopté en août 2012 apportant une définition précisée dans un champ d’application élargi et un durcissement sensible des peines encourues.
Le harcèlement sexuel est défini comme étant « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle portant atteinte à sa dignité ». La création d’une « situation intimidante, hostile ou offensante » à l’encontre d’une personne à travers des propos ou des comportements à connotation sexuelle est alors condamnable . A bon entendeur… ! Le harceleur dont le profil psychologique se caractérise par le fait de ne douter de rien va enfin rencontrer la loi pour autant que ses victimes portent plainte. Porter plainte est fondamental pour permettre aux évolutions naturelles de la société de trouver une résonnance juridique.
Le législateur a doublé les peines encourues. Il acte dans le texte de 2012 une sanction pouvant aller jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Il est à noter que la sanction peut être portée à quatre ans de prison et 45 000 euros d’amende dès lors que la personne est mineure de moins de 15 ans, si l’auteur du harcèlement a agi avec des complices, ou encore s’il abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. Les hommes politiques et les supérieurs hiérarchiques de l’entreprise sont clairement concernés par cette mention.
Ce texte sociétal majeur concrétise une évolution très nette de notre modèle de société. Il nécessite maintenant d’être connu par l’ensemble des institutions et par la population – et dans ce cas les campagnes d’utilité publiques ont tout leur rôle à jouer.
La loi n’est pas seule en cause. Le psychiatre Philippe Brenot souligne à raison qu’il manque aujourd’hui une éducation à la sexualité. Loin de la polémique idéologique sur le genre, il s’agit d’apprendre très tôt aux enfants l’égalité des rôles, à partir de laquelle le masculin ne domine pas le féminin. La loi du supposé « sexe fort » deviendra alors chimère. Il est certain que si cela se mettait vraiment en place, la plupart des conflits homme-femme s’atténueraient dans la vie privée, au travail comme dans la vie sociale. Une fois de plus, je ne peux que rappeler que la violence sociale prend racine, croît et se développe au sein des familles. L’éducation est un combat majeur pour la paix dans le monde sous toutes ses formes

Par  Laurent Hincker, avocat spécialiste du harcèlement moral dans la vie privée et dans l’entreprise, président de l’IFRAV.